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Si vous ne faîtes pas attention,
les médias vous feront détester les opprimés
et aimer les oppresseurs.
Malcolm X
MA FENÊTRE
LA CHAÎNE
_Le maître ne paie aucun salaire. L’énergie de l’esclave lui appartient en propre. Quand l’esclavage devient illégal le racisme ipso facto prend sa suite. On ne sort pas de ce cercle de feu sans se brûler jusqu’à l’os. (page 15)_
Publié le 2023-01-03 | lenouvelliste.com
Ce livre “Petit traité du racisme en Amérique” sort en librairie aujourd’hui 4 janvier. C’est une seconde édition augmentée. La première édition était parue l’année dernière au Québec. Pourquoi une nouvelle édition? Parce que le Québec, se trouvant en Amérique du nord, a une longueur d’avance sur l’Europe, sur les sujets que je traite dans ce livre. Du moins certaines particularités car le thème principal, le racisme, s’acclimate partout comme la mauvaise herbe. Il est rapidement compris par tous ceux qui veulent faire le maximum de profit. On ne le dira jamais assez, l’argent est la source de toutes les discriminations. Qu’il s’agit de classe, de sexe ou de race (étrangement le racisme existe, bien que la notion race n’ait aucun fondement scientifique). Étant toujours vu comme un corps étranger, le Noir ne bénéficie d’aucune protection sociale. L’ultime rêve économique reste l’esclave qu’on n’a pas à payer puisqu’il est, selon le Code Noir, “un bien meuble”. Je voulais savoir où on en était dans ce débat. Avons-nous fait quelques progrès dans un sens ou un autre? Après les quatre ans de Trump, j’ai tendance à croire qu’on a reculé. Et ce recul se remarque un peu partout dans le monde, et cela même dans les pays qui se battent, légitimement, pour leur autonomie. En fait, la question ne concerne pas uniquement les Noirs Américains. Il faut croire que cette question touche plus directement Haïti puisqu’elle revendique cette indépendance conquise depuis 219 ans. Ayant beaucoup voyagé, je dois dire que les autres nations nous observent à la loupe pour savoir comment traverser le temps avec un tel fardeau sur les épaules. Pourquoi? On peut parler de fardeau parce que si cela fait près de 220 ans qu’on a gagné notre liberté par les armes, on a essuyé au fil du temps de multiples coups d’État, à chaque fois suivi d’une brutale dictature. Quoi qu’on dise, on s’est débarrassé du Colon. La névrose dictatoriale a remplacé, chez nous, la névrose coloniale. Est-ce pour cette raison que l’Haïtien garde une plus grande distance face au racisme que le Noir américain? On n’accorde pas tant de pouvoir au raciste. Je voudrais analyser cette question en tenant compte de cette nuance. Contrairement aux Américains noirs qui vivent au cœur du problème puisque l’ancien maître partage encore le même espace que l’ancien esclave (une colère qui se renouvelle quotidiennement), nous nous sommes retrouvés entre nous, avec une rage inassouvie, et cela malgré la tuerie qui a suivi l’indépendance. Ce qui m’intéresse ici ce sont les méfaits du racisme aux États-Unis, et de quelle manière ils structurent la sensibilité des Noirs américains aujourd’hui. On doit tenir compte du passé si on veut comprendre certaines flambées de violence, comme l’affaire George Floyd. Il faut croire que c’est dû à cette accumulation continue d’humiliations et de rejets qui rend le fardeau plus lourd à porter qu’ailleurs. La pression sur les nerfs de l’esclave fut constante durant ces siècles où il était taillable et corvéable à merci, sauf un temps bref après la guerre de sécession. Puis les affaires ont repris et l’ancien esclave est devenu un ouvrier surexploité, conscient que sa condition ne changera pas sans un chambardement total des valeurs établies. Cette révolution n’épargnera pas le Sud, ni même le Nord, car on aura compris que chacun veille à ses profits personnels. Ce sont deux ou trois choses que je voudrais dire afin qu’on comprenne que dans le cas du racisme le passé est toujours présent.
Dany Laferrière
4 janvier 2023
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