25 mai 2023

 

par Gilbert Doctorow

Le titre « fake news » de cet article donne une idée de la direction que pourrait prendre la politique étrangère et militaire actuelle des États-Unis et de l’Union européenne à l’égard de la Russie si nous ne réfléchissons pas et si nous ne changeons pas de cap. Ce que je veux dire dans cet article, c’est que personne aux postes de direction de ce côté-ci du nouveau rideau de fer ne semble capable de voir plus loin qu’un seul coup dans le grand jeu d’échecs des grandes puissances qui se déroule actuellement sous les yeux du monde entier. Je dédie cet article en particulier aux lecteurs non identifiés mais très appréciés de l’armée américaine qui me suivent sur LinkedIn.

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Le point de départ de la discussion d’aujourd’hui se situe là où j’ai exposé, il y a deux jours, la présentation conformiste et irrationnelle de la guerre russo-ukrainienne par le correspondant diplomatique principal du New York Times à Bruxelles, Steven Erlanger, dans un prestigieux club du centre-ville.

J’ai conclu cet exposé en développant la question que j’ai posée à Erlanger au début de ses questions-réponses : pourquoi l’Europe et les États-Unis étaient-ils si peu préparés à la guerre terrestre que la Russie a déclenchée le 24 février 2022, étant donné la manière dont ils ont tous nargué l’ours russe depuis 2014 d’une manière qui ne pouvait que conduire à la guerre. La dernière insulte faite aux Russes a eu lieu entre décembre 2021 et début février 2022, lorsque les États-Unis et l’OTAN ont rejeté d’emblée la demande de la Russie d’entamer des négociations sur ses propositions de révision de l’architecture de sécurité de l’Europe.

Les États-Unis et l’Europe se sont réjouis de la manière dont la Russie a trébuché dans les premiers jours et les premières semaines de l’opération militaire spéciale. Ils ont conclu ouvertement que la Russie était beaucoup moins forte qu’on ne l’avait supposé. Cependant, les Russes se sont réconfortés avec la vieille sagesse populaire selon laquelle ils sont lents à seller leurs chevaux, mais rapides sur le parcours une fois montés. En effet, l’armée russe s’est progressivement mise en marche et des observateurs militaires occidentaux ont commencé à dire que la guerre était devenue une véritable « guerre terrestre », un retour à la guerre des tranchées et aux batailles d’artillerie de la Première Guerre mondiale, par opposition aux batailles de chars ou aux bombardements en tapis à partir de positions de supériorité aérienne que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont pratiqués au cours des trois dernières décennies lorsqu’ils se sont engagés contre des pays du Tiers-Monde qui ont été victimes de leurs attaques.

Il s’est ensuite avéré que les Russes tiraient jusqu’à 60 000 obus par jour, dépassant la puissance de feu des Ukrainiens par un facteur de trois ou cinq. Le nombre de victimes dans les deux camps a augmenté parallèlement à la disparité de la puissance de feu. Nos commentateurs de télévision et nos dirigeants politiques ne souriaient plus. Désormais, toute l’attention se porte sur le soutien du régime de Kiev avec du matériel militaire de plus en plus meurtrier, tout en vidant les armureries en Europe dans des proportions alarmantes. Les Russes ont finalement compris qu’ils disposaient du plus grand stock de munitions au monde, soutenu par la plus grande capacité de fabrication au monde dans ce domaine. Sans parler des nouvelles armes miracles, comme le Kinjal hypersonique, que les Russes ont commencé à introduire sur le champ de bataille un an après le début de la guerre.

Ma question était et est toujours la suivante : pourquoi ces aspects de la guerre à venir en Ukraine et autour de l’Ukraine n’ont-ils pas été prévus par les dirigeants occidentaux ? Cela témoigne d’une irresponsabilité et d’une incompétence flagrantes… et certainement aussi d’une vaste corruption. Sinon, comment comprendre que les trois ou quatre cents milliards d’euros dépensés collectivement par les États membres de l’UE pour la Défense chaque année au cours des vingt dernières années, par rapport aux 80 milliards d’euros du budget militaire annuel de la Russie, aient donné lieu à un tel écart dans l’état de préparation à la guerre lorsqu’elle a finalement eu lieu au début de l’année 2022 ? Et bien sûr, par extension, pourquoi les magasins et l’industrie manufacturière des États-Unis se sont-ils révélés si dérisoires alors que leur budget militaire est supérieur à celui du reste du monde dans son ensemble ?

Maintenant que j’ai éclairci cette question, passons à autre chose. Je ne vois aucun signe indiquant que les dirigeants actuels des États-Unis ou de l’Europe aient tiré des leçons de cette expérience. Au contraire, par leurs derniers mouvements sur l’échiquier, ils nous conduisent tout droit vers l’échec et mat décrit dans le titre de cet essai.

Tout au long de l’année, les médias occidentaux ont accordé une grande attention aux décisions prises à Washington, Londres, Berlin et Bruxelles concernant tout d’abord l’envoi à Kiev de chars perfectionnés, à savoir le char lourd américain Abrams et les Leopards allemands, puis l’envoi à Kiev d’avions de chasse américains F-16 provenant des flottes européennes.

On parle très peu du renforcement des troupes et du matériel de l’OTAN tout au long de la frontière orientale avec la Russie. Les médias occidentaux parlent très peu des menaces proférées par la Pologne de soutenir un soulèvement armé contre le gouvernement de Loukachenko en Biélorussie. En effet, en début de semaine, la télévision polonaise a interviewé un ancien ministre adjoint de la défense qui milite activement pour que son pays intervienne militairement pour soutenir un tel soulèvement, alors que les forces ukrainiennes, sous couvert de milices russes anti-Poutine, ont envahi l’oblast de Belgorod, en Fédération de Russie, le week-end dernier, provoquant la destruction de plus de 500 maisons et des fusillades qui ont envoyé des civils russes à l’hôpital pour des blessures ou à la morgue. Ces « terroristes », comme les décrit la télévision russe, ont été liquidés par les forces de sécurité russes, mais la menace de nouvelles incursions de ce type a fait monter la température et l’agressivité du discours public russe.

Certains nationalistes russes, comme le chef de la société de mercenaires Wagner, Evgueni Prigojine, sont cités aujourd’hui dans le New York Times pour leur demande de rappel à l’ordre des élites russes, de mise en état de guerre totale du pays et d’instauration de la loi martiale. D’autres orateurs nationalistes réclament l’exécution sommaire de traîtres tels que la personne qui a remis une bombe mortelle au journaliste Tatarski à Saint-Pétersbourg il y a quelques semaines.

Toutefois, la télévision russe grand public, comme Sixty Minutes, diffuse bien d’autres informations qui ne sont pas rapportées par notre presse et qui vont bien au-delà de la répression intérieure en Russie. Les participants à cette émission ne sont pas seulement des têtes parlantes issues de groupes de réflexion et de l’université d’État de Moscou. Ils comprennent des membres de la Douma représentant Russie unie, le LDPR et le parti communiste. Parmi les membres de la Douma, on trouve principalement des chefs de commissions de la Douma, comme celle de la Défense.

L’un des participants les plus convaincants appartenant à la Douma est un général à la retraite qui a formulé des recommandations très précises en matière de stratégie militaire que nos hommes à Washington feraient bien de prendre en considération.

Les analystes occidentaux ont fait couler beaucoup d’encre et ont prononcé beaucoup trop de mots sur la question de savoir si la Russie utilisera ou non des armes nucléaires tactiques en Ukraine. Il s’agit d’un discours creux qui ne tient pas compte de deux faits. Le premier est que le régime ukrainien peut être décapité à n’importe quel moment choisi par la Russie à l’aide des missiles hypersoniques dont elle dispose et qui sont équipés d’ogives conventionnelles. Toutefois, la Russie se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires contre l’OTAN, comme l’a clairement indiqué ce membre de la Douma.

Si le régime de Varsovie poursuit son projet d’obéir aux ordres de Washington et de créer un « second front » en envahissant le Belarus sous le couvert d’insurgés locaux, la Russie interviendra certainement. Le président Poutine l’a expressément déclaré hier, mais vous ne trouverez pas sa citation dans le NYT d’aujourd’hui. Si, par la suite, l’OTAN commence à agir contre la Russie le long de la vaste ligne de front qu’elle a récemment constituée, la réponse proposée par le général russe est également prête à l’emploi : utiliser des armes nucléaires tactiques contre ces forces de l’OTAN, les détruire et faire passer les chars devant elles jusqu’au prochain point de résistance où elle utilisera à nouveau des armes nucléaires. Ce jeu de saute-mouton amènerait logiquement ces chars russes dans l’Atlantique, quelque part près de Lisbonne, comme je l’ai indiqué dans le titre.

Et que feraient les États-Unis face à la destruction de leurs alliés européens ? On peut supposer, en connaissance de cause, qu’ils ne feraient rien. Si Washington tergiverse pour savoir quels chars iront en Ukraine, quels F-16 iront en Ukraine, tout cela dans le but de maintenir la lutte contre la Russie au niveau des forces supplétives, pourquoi les États-Unis risqueraient-ils une destruction instantanée par les missiles stratégiques russes simplement parce que l’Europe est en feu ?

source : Gilbert Doctorow