Par Fulvio Scaglione
Au-delà des considérations politiques et stratégiques plus larges, l’un des aspects les plus intéressants de l’offensive que les troupes ukrainiennes mènent dans la région russe de Koursk concerne le personnel militaire impliqué. Nous savons qu’il s’agit d’environ 10 000 hommes, et les vidéos provenant de la zone de combat témoignent du fait qu’il s’agit en grande partie d’unités d’élite, équipées des meilleures armes parmi les nombreuses fournies par les pays occidentaux. La question qui se pose alors est la suivante : comment et où les commandants ukrainiens ont-ils obtenu une force de frappe aussi importante et massive ? Et quels espoirs les Ukrainiens placent-ils dans cette expédition ?
Les Russes réagissent et il ne fait aucun doute qu’ils déploieront tous leurs moyens pour repousser les Ukrainiens au-delà de la frontière. Vladimir Poutine a envoyé son conseiller militaire personnel, le général Aleksej Dyumin, pour coordonner les opérations depuis Koursk, montrant ainsi qu’il veut suivre la crise de près (au fait, qu’est-il arrivé au ministre de la défense Andrei Belousov, soudainement silencieux ?). Pendant ce temps, les lignes de ravitaillement des Ukrainiens s’allongent et la dynamique de leur avancée est fortement réduite. Si l’opération se déroule bien, Zelensky aura une carte importante à jouer. Mais que se passera-t-il si elle se passe mal ? Si ses troupes sont, tôt ou tard, contraintes de battre en retraite après avoir subi des pertes importantes ? N’oublions pas non plus que les Russes n’ont déplacé aucune troupe hors du Donbas, où ils continuent d’attaquer.
Le sujet est important car, ces derniers temps, l’Ukraine a éprouvé de sérieuses difficultés à trouver de nouvelles recrues. Tous les programmes visant à persuader ou à forcer le retour au pays (par exemple en bloquant le renouvellement des documents dans les bureaux diplomatiques étrangers) des quelque 800 000 hommes valides qui se sont réfugiés dans les pays de l’UE se sont jusqu’à présent révélés infructueux. Et depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de mobilisation (avril 2024), les actions des patrouilles militaires chargées de « repérer » les hommes valides pour le service sont devenues de plus en plus agressives, dans certains cas carrément violentes. Et avec elles, le mécontentement évident de la population.
De ce point de vue, une importante sonnette d’alarme vient d’être tirée par les autorités ukrainiennes, dont nos médias ont bien sûr évité de parler. Il s’agit de Kovel, un centre de Volynie, donc de l’ouest de l’Ukraine, la partie la plus nationaliste du pays. À Kovel, une patrouille militaire a tenté d’enrôler de force trois hommes, mais s’est heurtée à l’opposition de la population, qui a même assiégé le district militaire. Après des moments de tension, les trois hommes ont été libérés et la manifestation a pris fin. Les responsables du district militaire ont tenté d’amortir l’échec en parlant, comme c’est souvent le cas, d’un complot russe.
Le succès de la manifestation de Kovel a été pris très au sérieux par les autorités ukrainiennes. Si l’exemple se répand, dans toute l’Ukraine, les parents, les connaissances et les amis des personnes mobilisées de force pourraient envisager de réagir, voire de recourir à la force. Ce n’est pas un hasard si l’administration présidentielle de Zelensky a immédiatement décidé de renforcer les mesures de sécurité dans les centres de recrutement du service militaire et de porter le nombre de conscrits valides à 150-200 000. Une armée, en somme, pour approvisionner l’armée en soldats. En outre, les fonctionnaires seront également impliqués dans la mise en œuvre de la conscription, dans l’espoir d’apaiser les tensions sociales.
Même à la lumière de cet épisode et d’autres, moins graves mais similaires, la question initiale reste posée : où Zelensky a-t-il «trouvé» les 10 000 hommes qu’il utilise depuis une semaine pour envahir la région russe de Koursk ? Est-il possible que ses forces disposent d’autant d’hommes (répétons-le aussi : des unités les mieux préparées et les plus combatives) pour s’engager à long terme dans une aventure à l’issue aussi incertaine ? La réponse la plus raisonnable semble encore être la suivante : l’objectif de l’offensive ukrainienne est à court terme et Koursk est une carte à jouer à court terme. Mais pour quoi faire ?
source : Inside Over via La cause du peuple