Il est utile de méditer comme le font les Russes aujourd’hui sur la capacité d’innovation dans les rapports de force des Chinois : face au bellicisme, au défi de l’hégémonie occidentale, ils répondent en matière de puissance «il est difficile de savoir qui est le plus fort mais nous nous sommes plus intelligents alors nous allons vaincre». Les Russes qui ont conscience d’avoir porté à bout de bras toute la volonté d’émancipation du prolétariat et des pays colonisés durant tout le vingtième siècle, ont d’autant plus de mérite à reconnaitre cette stratégie qu’ils se considèrent avec raison comme ayant subi et subissant une injustice historique et l’appréciation de leur rôle… Mais les USA, l’OTAN, les vassaux européens en les traitant comme ils l’ont fait, les ont forcés à un partenariat stratégique qui découvre l’art de la guerre des Chinois. Nous devrions en faire autant et perdre un peu de temps pour en gagner avec la considération de l’adversaire, du contexte géopolitique et donc le retour à une stratégie qui ne soit pas seulement la course à l’échalote de la conservation d’un portefeuille d’élus. Rien de plus utile que la compréhension de ce destin commun qui se joue et conditionne les luttes des classes et la bataille pour les souverainetés nationales.
Danielle Bleitrach
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par Dmitri Kossyrev
Si vous êtes l’une des deux superpuissances mondiales et que vous recevez un défi clair et précis de la part de l’autre puissance, essentiellement une menace pour votre existence, comment réagissez-vous ? La Chine l’a fait d’une manière inattendue et très chinoise. En gros : lequel de nous deux est le plus fort, difficile à dire, mais nous sommes plus intelligents et donc nous gagnerons.
C’est ce qui s’est passé lors du récent sommet de l’OTAN à Washington. Et du «troisième plénum» du Comité central du PCC qui s’est achevé jeudi, annoncé à l’avance par la quasi-totalité des médias mondiaux comme un événement capital pour le monde entier, et pas seulement pour la Chine.
Les Occidentaux, rappelons-le, ont placé pour la première fois Pékin devant Moscou, déclarant dans la déclaration finale que la puissance asiatique «remet en cause les intérêts, la sécurité et les valeurs de l’OTAN» et exposant plusieurs mesures pour éliminer cette «menace». Naturellement, les diplomates chinois ont trouvé des mots pour répondre. Mais la communauté mondiale des experts attendait une réponse différente, c’est-à-dire les résultats de ce même plénum – le troisième après le Congrès du Parti, et traditionnellement consacré à l’économie. Le fait est que les mots sont des mots, mais que les mesures concrètes, ça c’est du sérieux.
Certains auraient pu s’attendre à ce que l’économie chinoise soit mise sur le pied de guerre, avec la nationalisation de tout ce qui est imaginable et la concentration des efforts pour repousser les menaces militaires, etc. Mais pour la plupart, les attentes étaient différentes : qu’en est-il des finances, des investissements, etc. Le fait est que, depuis des mois, une guerre de l’information s’est engagée autour de l’idée que «la Chine ralentit et meurt». Elle est en train de mourir à cause de la quarantaine insensée de trois ans imposée par le virus, et parce que c’est au cours de cette période que la guerre économique des États-Unis contre un concurrent mondial s’est intensifiée, avec une restriction totale de toute exportation de haute technologie de la Chine vers les pays occidentaux.
Il faut dire ici que le sommet de l’OTAN et le plénum de Pékin ne sont que de nouveaux épisodes de la lutte pour le leadership mondial, et cette lutte a commencé en 2018, avec les premières restrictions de l’administration de Donald Trump à l’encontre des systèmes de communication de ses rivaux. Depuis lors, le monde entier observe les moindres détails de cette bataille acharnée. Ce qui est compréhensible : l’existence de pratiquement tous les pays en dépend. Peu importe qui est la première économie ici et qui est la deuxième (la réponse dépend du système de comptage), ce qui compte, c’est qu’elles représentent chacune environ 18% du PIB mondial. Ainsi, même des mesures apparemment purement nationales sur l’économie, en RPC ou aux États-Unis, affectent littéralement tout le monde. C’est important. Et ce qui est encore plus important, c’est qu’aujourd’hui, chacune des parties opposées met en avant sa propre idéologie clairement établie sur la façon dont le monde de demain devrait être construit. En outre, chaque camp s’efforce activement de faire en sorte que ce soit son idéologie et sa vision de l’avenir qui l’emportent.
La gravité des intentions et des enjeux : on ne peut pas faire plus sérieux. La partie attaquante – les États-Unis – estime qu’il ne s’agit pas de savoir qui est le premier ou le second, mais de la crise systémique de l’ensemble du projet américain. C’est vrai, et cette vérité ne concerne pas seulement l’effondrement et la dégradation du système politique, la confrontation entre les deux moitiés de la société, et tout le reste. Le fait est que les 18% du PIB mondial mentionnés – chez les deux puissances est d’une nature différente. Un exemple récent : nous avons récemment appris que la Russie était entrée dans le top 10 des pays ayant un excédent commercial. Le leader de ce top 10 – c’est-à-dire du monde – est la première puissance en termes de commerce extérieur, la Chine. Et les États-Unis ne sont pas deuxièmes ou troisièmes, ils sont également premiers, mais dans une liste complètement différente, celle des pays déficitaires. Et n’oublions pas qui est le premier producteur mondial (de biens, pas de services) et bien d’autres choses encore.
La réponse à la question «que doit faire l’Amérique» est donnée aujourd’hui, par exemple, par J.D. Vance, candidat à la vice-présidence sous Trump. Sa recette stratégique consiste à sortir les États-Unis de la crise ukrainienne et des affaires européennes, et à se concentrer sur l’écrasement de la Chine, y compris militairement (avec l’aide de Taïwan), faute de quoi l’Amérique ne pourra pas retrouver son avantage manufacturier et technologique. En réalité, M. Vance ne fait que répéter ce que la moitié républicaine du pays dit depuis des années, tandis que les démocrates ont, en paroles et en actes, une version édulcorée de la même doctrine. Cette doctrine est simple : pour sauver les États-Unis, nous devons écraser la Chine. Économiquement, politiquement, peu importe. Déployer tous les membres de l’alliance occidentale pour ce combat, et forcer même ceux qui ne font pas partie de l’alliance à se joindre à la lutte. Il s’agit d’une tâche de plusieurs décennies, qui nécessite la mobilisation totale de toutes les forces de la nation, et pas seulement d’une nation.
Et maintenant, la réponse chinoise à ce défi. Tout ici est subtil et nécessite, comme toujours, un décryptage. Il est à noter que le «troisième plénum», qui s’est déroulé à huis clos, n’a fait aucune déclaration spectaculaire et s’est contenté, dans son document final, de confirmer la poursuite de la démarche entamée il y a plusieurs mois. Mais avant même le plénum, la communauté des experts chinois a tenté d’expliquer l’importance de l’événement.
Premièrement : pas de mobilisations et de nationalisations, pas d’économie militaire en vase clos, pas de «retour à Mao Zedong». Le cap du soutien aux entreprises privées et de la revitalisation de l’initiative privée est confirmé. Ensuite, sur le plan purement interne, le système fiscal sera modifié pour empêcher les gouvernements provinciaux de de se livrer à la spéculation et de s’endetter. Mais le troisième point, le plus important, c’est que les dirigeants chinois confirment qu’ils conçoivent leur monde idéal exactement à l’opposé de celui des États-Unis. Et ils le construiront. Il ne s’agit pas de leurs affaires internes, mais des nôtres. La version américaine de l’économie mondiale, et avec elle de la politique, implique un camp assiégé pour les États-Unis et leurs alliés. Dans ce camp, les décisions sont prises non pas sur la base de leur rentabilité, mais dans le but d’empêcher la Chine (et, naturellement, la Russie et bien d’autres) d’accéder à leurs marchés. En d’autres termes, ce camp doit gagner la compétition avec les autres sur la base de l’opportunisme politique et idéologique.
Tandis que la Chine, comme la Russie, parle d’ouverture du monde. Et là, il y a une innovation idéologique, qui date déjà de plusieurs mois, mais c’est le «Troisième Plénum» qui s’en est emparé pour de bon. L’idée est la suivante : la Chine a fait un saut historique de la «coexistence pacifique» à un monde de «destin commun». Ajoutons que nous tous, sur cette planète, avons également fait un tel saut, du moins c’est ainsi que les dirigeants chinois voient la situation. Peu importe qui, du commissaire du peuple aux affaires étrangères Gueorgui Tchicherine en 1922 ou de Mao Zedong négociant avec l’Inde en 1954, a été le premier à imaginer le principe de la coexistence pacifique. Ce qui est important, c’est qu’à l’époque précédente, il était possible de parler de deux systèmes économiques, voire plus, qui pouvaient plus ou moins vivre leur vie derrière une barrière infranchissable, se rapprocher ou s’ouvrir l’un à l’autre, avoir des discussions idéologiques, se concurrencer dans le domaine de la technologie et dans tout autre domaine….. Et maintenant, l’économie a changé, elle ne peut fonctionner correctement que si les marchés sont aussi ouverts que possible. Car même un marché d’un milliard et demi de personnes (Inde, Chine) n’est plus adapté à de nombreux nouveaux biens et services, il doit être plus grand.
Le monde de la destinée commune est un monde qui commerce ouvertement selon des règles communes et sans sanctions, et qui est multipolaire, c’est-à-dire qui respecte la différence des civilisations et des systèmes politiques, où personne ne menace l’autre. En fait, il s’agit de notre monde, et le concept chinois de «destin commun» est, à certains endroits, textuellement similaire aux documents de politique étrangère russes. Cela n’a rien de surprenant. Ce qui sera surprenant, c’est la suite des événements, lorsque le bloc occidental et le reste du monde créeront leur propre destin commun ou privé. Et cette compétition prendra plus d’un an.
source : RIA Novosti via Histoire et Société