par Thierry Bertrand

Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, le chef de l’État se retire de la course électorale pour un second mandat en pleine campagne électorale. Cette décision place à la fois les autorités américaines et les alliés des États-Unis en Europe devant plusieurs décisions très difficiles.

Depuis plus de trois semaines après les débats, le président américain Joe Biden a fait preuve d’une obstination sans précédent. Malgré les pressions de son parti et de ses proches collaborateurs, il refusait de se retirer de la course. Il a même annoncé qu’à partir du 22 juillet, il reprendrait sa campagne électorale (interrompue à cause de la découverte de son infection au coronavirus). «Oui, plusieurs démocrates ont appelé à sa démission, mais il n’y avait pratiquement aucun signe de la part de ses proches indiquant que cette démission allait se produire», avait déclaré l’ancienne porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, à ce sujet.

Mais cela s’est produit, vraisemblablement en raison de l’état de santé du président américain, du chantage des sponsors de la campagne électorale et de la perte de ses derniers alliés. Biden, qui ne voulait pas partir avec honneur, aurait pu être destitué sans son consentement, par exemple, en appliquant le 25ème amendement de la Constitution des États-Unis, qui prévoit le changement du chef de l’État en raison de son incapacité à diriger le pays.

C’est probablement pour cette raison que le président américain a mis un terme à sa campagne électorale. En fait, il n’avait qu’un seul choix : soit se rendre avec honneur, soit être déshonoré et destitué. Dans ces conditions, sa décision semble être la seule possible et définitive.

Cependant, tout ne fait que commencer pour le parti démocrate des États-Unis et pour les alliés américains dans le monde entier. Dans les prochains mois, l’élite libérale mondialiste devra faire face à une série de bifurcations cruciales.

La première viendra très bientôt, lorsque le parti démocrate nommera officiellement le successeur de Biden. Il semblerait que le chemin soit clair : ce sera la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris. Elle est la favorite des bookmakers, de l’establishment et même de Biden lui-même (qui a publiquement soutenu sa candidature).

Le problème est qu’elle n’est pas la favorite des électeurs, étant trop à gauche, trop radicale, trop inexpérimentée. Son taux de désapprobation est pire que celui de Trump. Cependant, il sera extrêmement difficile pour les démocrates de l’exclure en raison de sa couleur de peau et de son sexe, sinon, les électeurs afro-américains et les féministes, qui sont des groupes électoraux essentiels, s’indigneront.

La deuxième bifurcation difficile est également à l’horizon, et elle est plus ambiguë. Les républicains exigent non seulement le retrait de la candidature de Biden, mais aussi sa démission de la présidence. «Si Joe Biden n’a pas les capacités cognitives pour se présenter à la réélection, il n’a certainement pas les capacités pour rester commandant en chef», écrit JD Vance, candidat républicain à la vice-présidence des États-Unis, sur sa page X.

La logique des partisans de Trump est claire. S’ils réussissent à faire démissionner Biden, Kamala Harris, en tant que présidente par intérim, sera responsable de tout ce qui se passera dans la politique américaine pendant trois mois et demi. Ensuite, tout le pays se rendra compte une fois de plus que Harris n’est pas capable de diriger l’État.

Biden cédera-t-il à la pression et démissionnera-t-il de son poste de président ? Qu’en sera-t-il de son état de santé ? C’est une autre intrigue, peut-être même plus importante que la participation de Biden à la campagne électorale.

La troisième bifurcation attend le parti démocrate lors de la convention du parti en août. Certes, l’establishment a choisi Harris, mais la population avait voté pour Biden. De tels évènements deviennent un précédent dans l’histoire récente des États-Unis, et il est extrêmement important pour la direction du parti de faire en sorte que tous les délégués, tous les leaders du parti soutiennent leur candidat dans un élan unanime.

Or cet élan unanime pourrait ne pas se produire. Plusieurs adversaires de Biden lors des élections, comme Robert Kennedy Jr., se sont plaints que le parti avait truqué les primaires en faveur de Biden. Et maintenant que Biden n’est plus là, ils pourraient exiger un nouveau vote. Toute exigence de ce genre serait exploitée par les républicains comme preuve de l’illégitimité de Harris en tant que candidate.

La partie externe de l’establishment libéral mondial, en particulier les alliés européens des États-Unis, se trouve également face à plusieurs bifurcations. La première est de savoir à qui prêter allégeance. Faut-il suivre la voie de Zelensky (essayant de nouer des contacts avec Trump) en espérant que celui-ci pardonnera tout, ou alors rester dans le camp des démocrates, continuant de qualifier Trump de menace pour le monde occidental ?

Le choix serait évident si Harris avait de fortes chances de victoire. Cependant, cette dernière, avec ses ambitions et son inexpérience : a) a peu de chances de succès et b) pourrait, en cas de victoire, créer encore plus de problèmes aux Européens qu’un Trump expérimenté et pragmatique. Par conséquent, la décision de Biden pourrait déclencher une véritable panique politique parmi les alliés européens de Washington.

La deuxième bifurcation est de savoir comment se comporter face à l’aggravation de la turbulence politique aux États-Unis. Continuer à suivre aveuglément le sillage du porte-avions américain ou commencer à s’en éloigner. Chercher de nouveaux partenaires, diversifier les relations, se souvenir des intérêts nationaux.

Enfin, la troisième bifurcation pour l’Europe est de savoir que faire ensuite avec l’Ukraine. Le départ de Biden a montré que, quel que soit le résultat des élections américaines (la victoire de Trump et la pragmatisation de la politique étrangère, ou bien la victoire de Harris et le chaos interne aux États-Unis), la participation de Washington au conflit ukrainien diminuera. Or l’Europe ne pourra pas compenser le désengagement militaire, politique et économique des Américains.

Par conséquent, le choix est simple : essayer de trouver une solution diplomatique avec Moscou. Soit simplement attendre que la Russie règle elle-même ses problèmes avec l’Ukraine par la voie militaire. Après quoi, elle dictera à l’Europe de nouvelles conditions, par exemple, sur les principes du système européen de sécurité collective.

source : Observateur Continental